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mardi 15 septembre 2015

Les mêmes immondes arguments des esclavagistes de la traite transatlantique du 18° siècle et des colonialistes français des 19° et 20° siècles

par Julie Amadis
15/9/2015
#IpEaVàEaFàF
1° publication
10 août 2012
REVACTU

Un individu humain - c'est-à-dire altruiste, ne supportant pas de voir et de savoir que d'autres humains souffrent - et donc une personne qui se bat pour un monde où plus personne ne vit dans la souffrance ne peut pas comprendre que des êtres qui dominent, exploitent et torturent puissent, non seulement agir de la sorte, mais aussi, inventer une doctrine morale justifiant leurs actions.


Dans son livre Noir Négoce, Olivier Merle donne le point de vue d'un naïf - son héros, Jean-Baptiste Clertant.
Celui-ci, jeune diplômé de l'école d'hydrographie du Havre est embauché – nous sommes en 1759 - comme second lieutenant sur l'Orion – un vaisseau de la traite atlantique. Ce n'est qu'après le départ, en mer, qu'il découvre peu à peu sa participation à la « traite négrière ». Jean-Baptiste Clertant est un garçon gentil. Chaque jour qui passe le plonge de plus en plus dans l'horreur de la traite.
Ce Candide imaginaire - Jean-Baptiste Clertant - écrit dans son journal (p. 152 de l'édition poche)
[avertissons le lecteur : le vocabulaire utilisé est empreint du racisme ordinaire de l'époque NdE] :

« Naïvement, j'avais imaginé que la traite des nègres, telle que je la voyais pratiquée depuis notre départ du Havre, ne pouvait être défendue par quiconque, car contraire aux principes les plus élémentaires de la dignité humaine. Sa brutalité était si proprement effroyable que nulle argutie ou théorie ne serait jamais en mesure de la justifier. Voilà ce que je pensais avant que le capitaine Fortin, avec une assurance maîtrisée, ne me montrât tout l'inverse.
Il fallait donc le reconnaître, les tenants de l'esclavagisme possédaient des arguments, organisés suivant une véritable théorie raisonnée, éloignée de toute improvisation. Cette théorie, ils la revendiquaient haut et fort, et à l'écouter sans y prendre garde, rien ne semblait plus convaincant que cette démonstration. »
Le capitaine Fortin – porte-parole de la traite - continuait dans l'abjection en utilisant même l'argument patriotique :
« Pour finir, il y avait l'argument suprême, celui du patriote qui retournait soudain l'accusation et montrait du doigt, comme un ennemi, celui qui défendait la cause des malheureux esclaves. Alors, par un surprenant travestissement de la réalité, les abolitionnistes avaient à se défendre de propager des idées sournoises qui mettaient en péril les fondements du royaume, son unité, sa richesse et sa prospérité.
N'était-ce pas effrayant que d'une question aussi limpide la cupidité la plus abjecte en fasse l'objet d'une controverse où les débatteurs débattaient, les polémistes polémiquaient, les ergoteurs ergotaient, les embrouilleurs embrouillaient, et où finalement les hésitants _ qui sont assurément les plus nombreux _ hésitaient ?»
Comme Jean-Baptiste, je croyais aussi, naïvement, que les gens qui commettaient des horreurs au delà du supportable n'avaient pas d'arguments pour défendre leurs agissements. Mais tous les monstres revendiquent leurs actions et développent tout un argumentaire pour cela.
On distingue plusieurs types d'arguments.

Les arguments économiques

Contrairement aux arguments moralistes, ceux-ci ont l'apparence de l'objectivité. Seulement, ils ont aussi pour ambition de convaincre les interlocuteurs du fait qu'il ne puisse pas y avoir d'autres solutions que l’esclavage ou le colonialisme.
Condorcet note un argument fréquent chez les esclavagistes:
« On prétend qu'il est impossible de cultiver les colonies sans Nègres esclaves ».
Ensuite il démonte cette idée et révèle qu'elle cache toute la violence qui dépend de ce choix.
« Nous admettrons ici cette allégation, nous supposerons cette impossibilité absolue. Il est clair qu'elle ne peut rendre l'esclave légitime. En effet, si la nécessité absolue de conserver notre existence peut nous autoriser à blesser le droit d'un homme, la violence cesse d'être légitime à l'instant où cette nécessité absolue vient à cesser : or il n'est pas question ici de ce genre de nécessité, mais seulement de la perte de la fortune des colons. Ainsi, demander se cet intérêt rend l'esclavage légitime, c'est demander s'il m'est permis de conserver ma fortune par un crime. Le besoin absolu que j'aurais des chevaux de mon voisin pour cultiver mon champ ne me donnerait pas le droit de voler ses chevaux ; pourquoi donc aurai-je le droit de l'obliger lui-même par la violence de le cultiver ». (p 27, Réflexions sur l'esclavage des Nègres, Condorcet)
Les colonialistes français du XIXème et XXème siècle considéraient que l'expansion du territoire français permettrait un enrichissement de la métropole.
Jules Ferry plus connu pour la création de l'école gratuite, laïque et obligatoire mais moins pour son combat en faveur du colonialisme prononce un discours le 28 juillet 1885.
Claude Liauzu énumère le contenu de ce discours :
« la colonisation assure des matières premières, fournit des débouchés à l'industrie et permet un placement avantageux des capitaux. Si la France veut demeurer une grande puissance, elle doit constituer un empire colonial. Autrement, ce serait la décadence. »
Cette argumentation économique avait auparavant déjà été battue en brèche par plusieurs libéraux dont Adam Smith, John Stuart Mill, Richard Cobden, leader de l'école de Manchester mais aussi Jean-Baptiste Say.
Jean-Baptiste Say écrit dans Traité d'économie politique en 1826 :
« il est impossible que les peuples d'Europe ne comprennent pas bientôt combien les colonies leur sont à charge. »
Claude Liauzu résume l'argumentation des économistes anticolonialistes :
« En réalité, les produits coloniaux sont achetés avec les ressources provenant de l'agriculture et de l'industrie métropolitaine. Le commerce s'amplifie beaucoup plus dans les relations de liberté que dans les relations coloniales. » (p 80)

Les argumentations humanistes

Mais ceux qui souhaitent exploiter les pays du Sud ont aussi trouvé toute une argumentation humaniste. Les enfoirés ont toujours besoin de se faire croire que leurs saloperies sont utiles pour le bien de l'humanité.
C'est peut être une spécificité de l'être humain. Lorsqu'il agit de façon contraire à toute humanisme, il ne s'avoue pas que la réalité morale de ses actes est horrible, et il contrebalance l'horreur de ses agissements par une pseudo morale humaniste.
Condorcet, au XVIII° siècle, montrait quel argumentaire pseudo humaniste utilisaient les esclavagistes pour se donner bonne conscience et pour continuer leur commerce.
Dans le chapitre 2 de Réflexions sur l'esclavage des Nègres, nommé Raisons dont on se sert pour excuser l'esclavage des nègres
« ON DIT, POUR EXCUSER l'esclavage des Nègres achetés en Afrique, que ces malheureux sont, ou des criminels condamnés au dernier supplice, ou des prisonniers de guerre qui seraient mis à mort, s'ils n'étaient pas achetés par les Européens. "
Les colonialistes de la fin du XIX° siècle et les précurseurs de la fin du XVIII° tel que le comte Volney (il deviendra le mentor de Bonaparte) considéraient que grâce à leur domination ils permettraient aux populations colonisées de s'émanciper.
« Émanciper les peuples du joug du fanatisme et de la tyrannie, ou d'une domination étrangère comme celle des Mamelouks, c'est aller vers un monde où se côtoieraient des « corps de nations éclairés et libres » où « la communication des lumières d'une portion s'étendra de proche en proche, et gagnera le tout. Par la loi de l'imitation, l'exemple d'un premier sera suivi par les autres ; ils adapteront son esprit, ses lois, jusqu'à ce que l'espèce entière devienne une grande société, une même famille gouvernée par le même esprit, par de communes lois, et jouissant de toute la félicité dont la nation humaine est capable. » Constantin François, comte de Volney, Les ruines
De même, l'anti-esclavagiste Victor Hugo, lors d'un banquet célébrant l'abolition de l'esclavage, fait l'apologie du colonialisme en proclamant : 
« La Méditerranée est un lac de civilisation ; ce n'est certes pas pour rien que la Méditerranée a sur l'un de ses bords le vieil univers et sur l'autre l'univers ignoré, c’est-à-dire d'un côté toute la civilisation et de l'autre toute la barbarie (…). Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez – la. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l'industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité … Allez, faites ! Faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez. » (discours du 18 juin 1879 lors d'un banquet célébrant l'abolition de l'esclavage ( p 98 Claude Liauzu)
Victor Hugo, avec son statut d'intellectuel, donne une dimension humaniste à la colonisation. Si on modernise les pays colonisés, alors on peut dominer ses habitants. Voilà le message sous-jacent de ce discours.

L'ECLAIRAGE DE FRANZ FANON

Frantz Fanon montre comment la France - pays qui colonise l'Algérie, exploite sa population et torture ses opposants - a la bonne conscience colonialiste qui revient, à peine quelques colons meurent sous les bombes des colonisés.
« Le gouvernement français trouvera son deuxième argument dans ce qu'on appelle le terrorisme. Les bombes à Alger seront exploitées par le service de propagande. Enfants blessés, innocents, qui ne s'appellent pas Borgeaud ou qui ne répondent pas à la classique définition du « féroce colonialiste » posent aux démocrates français des problèmes inattendus. La gauche est ébranchée ; Sakamody renforcera ce recul. Dix civils français sont tués dans une embuscade et toute la gauche française, dans un unanime sursaut, de s'écrier : on ne vous suit plus. La propagande s'orchestre, s'insinue dans les esprits et démantèle les convictions déjà fissurées. Le concept de barbarie apparaît et il est décidé que la France en Algérie combat la barbarie. ( p 86) »

La comparaison du plus pauvre des « blancs » par rapport au sort de la masse des Africains dont le colonisateur est responsable.

Olivier Merle dans Noir Négoce met en valeur cette argumentation à travers les propos de Criquot, premier lieutenant du navire :
« On dit même que le sort des esclaves dans nos colonies vaut mieux que celui de nos ouvriers qui ne trouvent plus à se nourrir quand le travail vient à manquer, de même nos paysans qui meurent littéralement de faim en cas d'intempéries et de mauvaises récoltes. Au moins, l'esclave a le gîte et le couvert garantis, en toutes circonstances, et je crois qu'il y a bien des malheureux dans notre pays qui doivent envier cette condition »
La comparaison entre le pauvre du pays dominant et le pauvre « blanc » est souvent utilisée. Le raciste esclavagiste ou colonialiste aggrave sa pathologie raciste d'occupant ou d'esclavagiste en recherchant le sort du plus pauvre des « blancs » pour le comparer au sort de la masse des africains.
Condorcet écrit à ce propos :
« Après tout, dit-on, les Nègres ne sont pas si maltraités que l'ont prétendu nos déclamateurs philosophes ; la perte de la liberté n'est rien pour eux ; au fond, ils sont même plus heureux que les paysans libres de l'Europe ; enfin, leurs maîtres étant intéressés à les conserver, ils doivent les ménager, du moins comme nous ménageons les bêtes de somme ». (p 69 Réflexions sur l'esclavage des Nègres)

« Si on n'exploitait pas telle ou telle population, ce serait nos concurrents (ou adversaire) qui le ferait à notre place », voici l'argument utilisé lors de la colonisation, la traite et le néocolonialisme 

Le personnage du capitaine de Olivier Merle défend l'idée que, si les Français ne pratiquaient pas la traite ce serait les Anglais qui prendraient leur place.
« Dois-je vous informer, également, monsieur Clertant, que vos rêveries sentimentales, si nous les mettions en pratique, nuiraient gravement à notre pays ? Croyez-vous que si nous abolissions l'esclavage, les Anglais feraient de même ? Certes non ! Et ceux-là seraient trop heureux de voir une grande nation comme la nôtre retourner contre elle le glaive qui l'a pourtant portée si haut ! Car, n'en doutons pas, interdire l'esclavage dans nos colonies, c'est ruiner celles-ci dans l'instant, et affaiblir la France ! » Olivier Merle Noir Négoce (p 340)

EN CONCLUSION PROVISOIRE

Aujourd'hui, on entend souvent parmi les partisans du néocolonialisme que « si la France n'était pas présente dans certains pays d'Afrique, la Chine la remplacerait. Et, son comportement à l'égard des Africains serait pire que celui des Français ».
Les arguments ne changent pas beaucoup parce que l'horreur des agissements des néocolonialistes ne différe pas par rapport à l'époque de la colonisation.
3 millions de bébé meurent chaque année à cause de l'occupation française. (source INED 2008). Les conséquences sanitaires de l'occupation ont ce résultat.
Les salarié de Bolloré dans les plantations SOCAPALM au Cameroun sont payés - à la même date - 50 euros par mois. Et Michael Agbor, syndicaliste a été menacé de mort car il demandait quelques euros de plus.


La France tuait aveuglement en Côte d'Ivoire en 2011 afin de pouvoir mettre au pouvoir son dictateur préféré, Alassane Ouattara - au détriment du président légitime Laurent Gbagbo.
Les arguments des sanguinaires ne sont écoutés que par ceux qui ont intérêt à y croire. Si ces arguments ont toujours eu un écho chez les Français, c'est parce que ceux-ci savent consciemment ou inconsciemment que leur niveau de vie élevé dépend du niveau de vie esclavagiste des Africains : 1/20° du SMIC de France pour les employés de Bolloré.



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lundi 9 juillet 2012


Crimes barbares de la monarchie belge dans "LE POIDS DE L'AFRIQUE" de Charles-Henri Favrod (Seuil 1958)

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